Par  Jacques Roy (1998)

Julien St-Denis, âgé aujourd'hui de 71 ans, a joué et gagné contre la crème des joueurs canadiens et étrangers, dont le Iégendaire Georges Chénier, Cliff Thorburn ainsi que Alex Higgins et Dennis Taylor. On raconte que Chénier était venu à Hull et que St-Denis avait joué contre lui à la salle de billard Centrale sur la rue Principale. St-Denis n'était pas fortuné, il travaillait pour le CNR comme inspecteur de trains et quand les mises étaient hautes, il se faisait appuyer par le "syndicat". Les membres de ce groupe, dont André (Cuddy) Servant, Jean-Paul Galipeault, André Goyette et St-Denis lui-même mettaient leur argent en commun pour permettre à St-Denis de miser plus fort. Or, pour le match contre Chénier, le "syndicat" a eu peur et n'a pas voulu appuyer St-Denis. Ce dernier a quand même joué contre Georges Chénier à 10$ la partie (100$ et plus en argent d'aujourd'hui) et il I'a battu 7 à 1. Chénier est retourné à Toronto et a averti tout le monde de ne pas aller jouer avec "le gars de Hull au doigt coupé". Plus jeune, Julien s'était coupé un doigt avec une scie ronde.

En 1967 St-Denis a affronté le coloré Maurice (Star) Michon à la salle London sur la rue Dupont (maintenant la rue Eddy). IIs ont joué à 250$ la partie et Julien a gagné 11 parties collées la première journée et 7 la deuxième. Star Michon a alors suggéré de changer de partie. IIs ont joué au "hot balls" à 10$ la boule. À ce jeu, seules les 6 boules de couleur sont sur la table et il faut les faire en ordre. Julien a gagné 800$, une somme énorme à I'époque et Michon I'a dès Iors "barré".

Pour trouver de I'action, il fallait parfois inventer de nouveaux jeux. C'est ainsi que Iors d'un match avec Eddie Agha à Montréal, t-Denis devait jouer d'une seule main et Agha devait jouer toujours avec le rateau, même collé sur la bande. On sait que Eddie est de petite taille et qu'il est devenu par conséquent, un spécialiste du rateau. Ce match s'est terminé 11 à 8 en faveur d'Agha pour 500$. À Montréal dans les années 60, Leo Levitt était invaincu dans sa salle. St-Denis s'est amené un bon soir et a été, dit-on, le premier à le battre à 100$ la partie. II a empoché 700$.  Levitt, Agha, Robert Paquette et d'autres venaient souvent à Hull et attiraient des foules intéressantes jusqu'aux petites heures du matin. C'était I'âge d'or du snooker. L'exploit le plus spectaculaire de St-Denis fut contre Pierre Lacoste le 5 mars 1976 à la salle Dagenais. Julien jouait d'une seule main et il a réussi 15 boules rouges et 15 boules de couleur pour finalement manquer sur la jaune. Cette dernière étant très loin, il avait dû avoir recours à la grande baguette, d’une seule main. Toute une performance!

Julien St-Denis a déjà gagné 3 000$ en 1965 contre un certain Amédé de Chomédey. Tous les deux jouaient d'une seule main. C'est souvent Tony Lemay, bon joueur lui-même mais surtout promoteur, qui trouvait des adversaires pour St-Denis, entres autres. II faut savoir que bien peu de joueurs avaient leur propre baguette à I'époque, on jouait avec les baguettes de tout le monde accrochées aux murs des salles. Quand on en trouvait une à son goût on la cachait derrière le comptoir pour I'avoir toujours à sa disposition.Ce n'est qu'au début de 1970 que St-Denis s'est vu offrir par Dufferin sa premiere baguette en deux morceauxd'une valeur de 20$.Elle pesait 20 onces et le bout était de 10 mm. II I'a encore chez lui bien qu'il ne joue plus au snooker. II joue au neuf à I'occasion pour s'amuser mais déteste ce jeu puisqu'il prétend que I'élément chance est trop prépondérant. II n'a jamais vraiment aimé la "petite table", il négligeait le "straight pool" et le "one pocket" qu'affectionnaient les Américains. II s'est quand même déjà rendu aux États-Unis à la demande d'Hervé Fillion, le célèbre conducteur de chevaux de courses sous harnais, natif de Masson-Angers près de Hull. Fillion venait de perdre 3 000$aux mains d'un Américain au jeu du Boston. St-Denis s'est fait passer pour un homme de chevaux et a repris les 3 000$ perdus. II s'est fait battre le lendemain 500$ la partie par un Américain plus fort que lui à ce jeu qui ne lui était pas très familier. Julien St-Denis, bien qu'il n'ait pas été "hustler" de nature, s'est fait passé pour un autre à Quebec. Sous le pseudonyme "Roger Vaillancourt" il s'est amené pour jouer contre Ti-Toc Verette. Un journaliste du Soleil, anciennement de Hull, avait découvert la fausse identité et I'avait dénoncé. C'était plutôt un canular, mais Verette ne I'avait pas trouvé drôle. St-Denis était tellement fort qu'il se trouvait toutes sortes de handicaps pour réussir à trouver des adversaires. Contre Jacques (Coco) Laftamme de Hull il devait jouer rouge-jaune toute la partie, aucune autre couleur. II avait réussi 13 jaunes de suite. Quand on sait que les rouges sont à un bout de la table et que la jaune est à I'autre bout, c'est sensationnel.

Bien que les jeux à I'argent étaient très fréquents à I'époque il y avait aussi bien sûr les championnats canadiens. St-Denis a terminé troisième à Toronto en 1971. Robert Paquette I'avait devancé. À Ottawa en 1974 au Lakeside Gardens, il avait terminé deuxième contre Cliff Thorburn alors à I'allure hippie avec cheveux longs et par ailleurs le meilleur joueur au Canada. Julien St-Denis est une Iégende du billard au Canada. Estimé de tous, il fréquente encore beaucoup les salles de billard de I'Outaouais, bien qu'il ne joue plus. II se contente de donner des conseils et d'apprécier le jeu des vedettes montantes. II aime tellement le billard qu'il en avait fait une condition de son mariage avec Carmen Lalonde avec qui il vit toujours après plus de 50 ans. Elle ne I'a jamais suivi dans le monde du billard mais elle savait qui elle épousait et ne I'a jamais empêché de jouer autant qu'il le voulait.

Ses nombreux amis et partisans lui en savent gré. II aurait pu jouer en Angleterre et en Afrique du Sud, mais n'a jamais voulu quitter ni sa famille ni son emploi au CNR où il a oeuvré pendant 38 ans. II jouit aujourd'hui d'une retraite confortable auprès des siens.
Julien St-Denis est décédé le 27 avril 2003